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Une analyse sur l’impact de la grève dans les écoles du Québec sur les enfants

 

Ce fut l’une des grèves les plus longues dans le monde de l’éducation du Québec et les impacts se font encore sentir. Deux professeures de l’UQO, Annie Bérubé et Marie-Ève Clément, du Département de psychoéducation et de psychologie, viennent tout juste de se pencher sur l’impact de la récente fermeture des établissements scolaires au Québec.

 

Leur constat : la fermeture des écoles entraine une difficulté à assurer une réponse adéquate aux besoins des enfants. Les deux professeurs rappellent que durant la pandémie, plusieurs études ont documenté le lien entre les fermetures des écoles et la négligence envers les enfants.

Elles se sont donc intéressées au récent conflit de travail en éducation qui a mené à une nouvelle fermeture des établissements scolaires sur plusieurs semaines. Dans certaines régions du Québec, les enfants n’ont pas eu accès à l’école entre le 21 novembre et le 8 janvier 2023. En excluant la période de vacances scolaires, certains enfants ont ainsi été privés de 22 jours d’école, soit une période d’un mois complet.
 

Écoutez l'entrevue de la professeure Annie Bérubé à l'émission Sur le vif du 7 février 2024 - Radio-Canada Ottawa-Gatineau

 

Les professeures Annie Bérubé, à gauche, et Marie-Ève Clément, du Département de psychoéducation et de psychologie


Consultez les grandes lignes de l’étude

Intitulée La fermeture non planifiée des établissements scolaires contribue à créer des contextes de négligence sociétale envers les enfants, leur étude a permis de documenter comment la fermeture des écoles a influencé la réponse des familles aux besoins de leurs enfants.

Un questionnaire en ligne distribué sur les médias sociaux entre le 21 décembre 2023 et le 29 janvier 2024 a permis de recueillir les réponses de 275 parents sur la réponse aux besoins de leur enfant durant les mois de novembre et de décembre 2023.

 

Impact sur les 5 à 17 ans

Les résultats indiquent que les parents ayant vécu une fermeture d’école pendant un mois en continu se sont inquiétés davantage de la réponse aux besoins de leur enfant que ceux dont l’école a été fermée de manière intermittente durant 11 jours.

Les différences sont significatives notamment au niveau de la sécurité des enfants. Les parents d’enfants fréquentant l’école primaire (5-11 ans) rapportent avoir dû laisser leur enfant sans surveillance à des moments où l’enfant aurait dû être surveillé. Ceux d’enfants fréquentant l’école secondaire (12-17 ans) indiquent ne pas avoir pu s’assurer que leur enfant était avec des personnes de confiance et qu’il n’était pas exposé à des conduites pouvant nuire à sa sécurité.
 

Par ailleurs, les parents d’enfants plus vieux (12-17 ans) qui ont vécu une fermeture d’école d’un mois indiquent s’être moins intéressés à la réussite scolaire de leur enfant ou avoir moins privilégié des activités comme la lecture. Par ailleurs, les parents percevant leur situation financière défavorablement rapportent avoir eu davantage d’inquiétudes quant à la quantité suffisante de nourriture disponible pour l’enfant durant cette période.

Finalement, les parents rapportent un temps d’écran élevé durant les journées de grève. Les parents d’enfants du primaire indiquent que durant une journée de grève typique, les enfants ont passé en moyenne 3,8 heures par jour sur des écrans. Le quart des enfants de 5 à 11 ans (25,3%) ont consacré 5 heures ou plus de leur journée aux écrans. Pour les adolescents, la moyenne du temps passé devant un écran durant une journée de grève est de 4,8 heures. Près du tiers d’entre eux (31,8%) sont restés sur un écran plus de 7 heures par jour. On retrouve 13% des adolescents qui auraient passé 10 heures ou plus devant un écran durant les fermetures d’école. Les enfants qui ont été privé d’école plus longtemps ont un temps d’écran significativement supérieur à celui des autres enfants.

 

Messages à tirer de cette étude

L’école joue un rôle primordial dans l’éducation des enfants, rappelle les professeures Bérubé et Clément.

« L’accès à l’éducation constitue un droit reconnu aux enfants par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et elle représente donc un devoir d’état, rappelle Annie Bérubé. Au-delà de la scolarisation, le milieu scolaire permet de répondre à plusieurs autres besoins. Les besoins affectifs et cognitifs sont répondus grâce à l’exposition des enfants à un réseau d’adultes et d’enfants qui contribuent notamment à leur développement social, à l’apprentissage de la gestion des émotions et au développement langagier et cognitif. Pour plusieurs enfants, ce temps d’interaction semble remplacé par du temps d’écrans lorsque les établissements scolaires sont fermés. »

Cette situation soulève de grandes inquiétudes considérant les dommages importants d’une trop grande exposition aux écrans pour la santé psychologique et physique des enfants.

L’école représente également un réseau de bienveillance et de surveillance important. Au Québec, plus de la moitié des enfants victimes de maltraitance sont signalés aux services de protection de la jeunesse par un réseau d’adultes qui les entoure et qui veille sur eux dans le milieu scolaire et communautaire.

Durant la pandémie, ce réseau a cessé de côtoyer les enfants, menant à une diminution importante du nombre d’enfants signalés durant les périodes de confinement. Cette baisse de signalements a également été notée dans les régions où les négociations ont entrainé la fermeture des écoles durant un mois, avec une diminution des signalements allant de 24 à 38% dans ces régions. Enfin l’école contribue aux soins de base des enfants. En outre, plus de 80 000 déjeuners sont normalement servis chaque matin aux enfants en milieu scolaire au Québec. Ce sont des repas quotidiens auxquels ces enfants n’ont plus accès durant une période de fermeture des établissements scolaires.

Le rôle primordial des milieux scolaires pour le développement des enfants a notamment été mis en lumière durant la pandémie. Force est de constater que le message doit être à nouveau réitéré.

La fermeture des établissements scolaires lors de moments où les milieux familiaux et communautaires ne sont pas préparés à prendre la relève contribue à créer des contextes de négligence envers les enfants. Il est primordial de considérer les fermetures d’établissements scolaires à la lumière des lacunes qu’elles entrainent pour la réponse aux besoins des enfants. Sans quoi, ces situations pourraient contribuer à créer de la négligence sociétale envers nos enfants.

 

Le 7 février 2024