Clément Chion se penche sur l’impact du bruit sur les bélugas du Saint-Laurent
L’Institut des sciences de la forêt tempérée de l’UQO, à Ripon, est bien loin du fleuve Saint-Laurent, mais un lien existe bel et bien entre l’ISFORT et le majestueux cour d’eau.
C’est en effet dans l’estuaire du fleuve Saint-Laurent, dans la région de Tadoussac, que Clément Chion, professeur associé au Département des sciences naturelles et chercheur à l’ISFORT, étudie le mouvement des baleines et des bateaux.
Les scientifiques du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) de Tadoussac, l’équipe du professeur Chion et plusieurs autres collaborateurs de ministères fédéraux travaillent depuis plusieurs années à développer un modèle de simulation permettant de projeter l’impact des mesures de gestion sur les populations de baleines.
Comment un chercheur de l’ISFORT en est-il venu à se retrouver dans la région de Tadoussac pour de telles recherches ?
Clément Chion explique que son principal intérêt de recherche est le développement d’outils informatiques (e.g. algorithmes d’intelligence artificielle, modèles de simulation) pour aider les utilisateurs et les gestionnaires de ressources naturelles à prendre des décisions et à résoudre des problèmes complexes. Il détient une maîtrise et un doctorat avec une spécialisation en intelligence artificielle de l’École de technologie supérieure (ETS) de Montréal. Son doctorat est axé sur la modélisation avec une composante interdisciplinaire, notamment en biologie et océanographie.
« On a compris qu’il ne fallait pas uniquement regarder les collisions, mais aussi le bruit. En faisant équipe avec le Pr Jérôme Dupras et le stagiaire postdoctoral Dominic Lagrois, on a pu intégrer les dimensions du bruit dans notre simulateur 3MTSim. L’idée donc du simulateur est de rester connecté aux problématiques concrètes de gestion durable de la navigation et de conservation des mammifères marins sur le terrain. »
Et c’est dans le cadre de ses recherches au doctorat, qui ont débuté en 2006, qu’il a travaillé sur le développement d’un simulateur avec la professeure Lael Parrott de UBC (University of British Columbia) et plusieurs autres étudiants. Ce simulateur 3MTSim a servi à un premier projet de recherche sur la navigation maritime dans l’estuaire du Saint-Laurent et les mammifères marins.
« Ça a l’allure d’un jeu vidéo, si vous voulez. On voit des petits points qui sont des baleines qui se déplacent et des déplacements de bateau, principalement les navires marchands et les croisières de baleines, explique monsieur Chion. Nous, la première phase du travail avec le simulateur 3MTSim a été de travailler avec les gestionnaires de Pêches et Océans Canada et Parcs Canada et les acteurs du milieu pour voir quelles sont les meilleures stratégies de gestion du trafic maritime afin de réduire les risques de collision entre les bateaux et les grandes baleines dans l‘estuaire du Saint-Laurent. »
Ces travaux se sont déroulés de 2006 à 2011 et, en 2013, des mesures volontaires développées en concertation avec les acteurs du milieu ont été recommandées, incluant une réduction de la vitesse des navires marchands, des couloirs recommandés et une zone à éviter pour la navigation, le tout dans le but de réduire les collisions avec les grandes baleines. Clément Chion a travaillé avec plusieurs partenaires, non seulement des gestionnaires de Pêches et Océans Canada et de Parcs Canada, mais aussi les associations d‘armateurs, les pilotes du Saint-Laurent et des représentants d‘organisations non-gouvernementales.
Article du Quotidien sur les recherches sur les bélugas et le bruit
Des collions, au bruit
C’est au cours de ses recherches sur la navigation et les collisions avec les mammifères marins que Clément Chion s‘est intéressé à la problématique du bruit sous-marin, un enjeu particulièrement préoccupant pour certaines espèces comme le béluga, qui se basent sur les ondes acoustiques pour se déplacer, socialiser et localiser leurs proies. « On a compris qu’il ne fallait pas uniquement regarder les collisions, mais aussi le bruit. En faisant équipe avec le Pr Jérôme Dupras et le stagiaire postdoctoral Dominic Lagrois, on a pu intégrer les dimensions du bruit dans notre simulateur 3MTSim. L’idée donc du simulateur est de rester connecté aux problématiques concrètes de gestion durable de la navigation et de conservation des mammifères marins sur le terrain. »
Ce fut donc une autre étape des travaux de recherches postdoctorales pour Clément Chion. Les recherches sur le bruit et les bélugas ont débuté en 2014 avec la collaboration des chercheurs fédéraux.
Selon les connaissances actuelles, les baleines à dent, comme les bélugas, les épaulards et les cachalots, sont très sensibles au bruit. « Elles sondent leur environnement au moyen de ce qui est semblable à un sonar en émettant des ondes et des pulsations qui sont envoyées et récupérées par l’animal sous l’eau après avoir rencontré un obstacle. »
Le béluga est également une espèce très vocale que l’on surnomme le ‘canari des mers’.
« On les entend littéralement chanter sous l’eau. Et donc l’acoustique est en quelque sorte leurs yeux et leurs moyens de communiquer entre eux », souligne Clément Chion.
Et c’est donc tout ce trafic, que ce soit les navires marchands, les excursions de touristes pour voir ces majestueux animaux, les traversiers ou encore la plaisance, qui interfèrent avec l‘environnement acoustique des mammifères marins. Comment faire pour atténuer ces bruits autant que possible?
Les modèles développés par Clément Chion se penchent donc sur l’interaction entre l’humain et les écosystèmes. « C’est ce qui motive mes recherches. »
Cette coexistence entre les animaux et les humains est une question d’actualité. Que ce soit un parc, une rivière ou un fleuve, les gens veulent se rapprocher de la nature et l’équilibre est délicat entre l’accès et le respect de l’environnement.
« Ce sont des problématiques auxquelles les gestionnaires doivent faire face tous les jours. Quand on parle de Parcs Canada, et du parc marin, ils ont un mandat double de protéger le patrimoine naturel et de le faire découvrir. Donc, il faut trouver un compromis entre les deux qui peuvent se trouver en conflit. Donner accès aux touristes, c’est bien, c’est bon pour la sensibilisation. Mais en même temps, on vient empiéter sur un territoire naturel qui a son propre fonctionnement et ses vulnérabilités, explique Clément Chion. Nous, ce qu’on essaie de faire également, c’est d’informer les décisions qui sont prises afin de réduire ces impacts, tout en maintenant l’accès. »
Les recherches sur les bruits sous-marins et l’impact sur les mammifères marins ne sont pas terminées, car il s’agit de résultats préliminaires, souligne-t-il enfin. Elles s’échelonnent sur plusieurs années. « On entre dans un cinq à 10 ans où la problématique du bruit sous-marin va faire l‘objet d‘une attention accrue. Même si de la recherche se fait sur la problématique du bruit sous-marin depuis de nombreuses années, on est au début de quelque chose car c’est devenu une priorité au niveau de la gestion des écosystèmes marins. »
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