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CENTRE DE SOUTIEN ET D'INNOVATION EN PÉDAGOGIE UNIVERSITAIRE

Antiracisme

Quoi ?
L’antiracisme est «un processus actif qui consiste à identifier et éliminer le racisme en transformant les systèmes, les structures, politiques, pratiques et attitudes organisationnelles, afin que le pouvoir soit redistribué et partagé équitablement»  (National Action Committee on the Status of Women International Perspectives: Women and Global Solidarity)

Dans son ouvrage phare Comment devenir antiraciste, Ibram X. Kendi (2019) propose les définitions suivantes : 

«RACISTE: Se dit de quelqu’un qui soutient une politique raciste par ses actes ou son inaction, ou qui exprime une idée raciste. 

ANTIRACISTE: Se dit de quelqu’un qui soutient une politique antiraciste par ses actes ou qui exprime une idée antiraciste.» (p. 12)


Pourquoi ?

Kendi (2019) précise : 

«Quel est le problème avec le fait d’être «pas raciste»? C’est une affirmation de neutralité: «Je ne suis pas raciste, mais je ne suis pas non plus agressivement contre le racisme.» Il n’y a pourtant pas de neutralité dans la lutte concernant le racisme. Le contraire de «raciste» n’est pas «pas raciste». C’est «antiraciste». Quelle différence entre ces deux termes? Soit on soutient l’idée d’une hiérarchie raciale en tant que raciste, soit celle d’égalité raciale en tant qu’antiraciste. Soit on croit que les problèmes trouvent leurs racines chez des groupes de gens et on est raciste, soit on situe les racines de ces problèmes dans le pouvoir et la politique et on est antiraciste. Soit on permet aux inégalités raciales de se perpétuer et on est raciste, soit on combat les inégalités raciales et on est antiraciste. Il n’existe pas d’entre-deux, pas de safe space qui correspondrait à «pas raciste». Affirmer la neutralité de «pas raciste» n’est qu’un masque pour le racisme. Cela peut sembler radical, mais il est important, dès le début, d’appliquer l’un des principes essentiels de l’antiracisme, qui est de renvoyer le mot «racisme» lui-même à son usage correct. «Racisme» n’est pas – en dépit de ce que dit Richard Spencer – un terme péjoratif. Ce n’est pas le pire mot de la langue; ce n’est pas l’équivalent d’une insulte. C’est un terme descriptif et la seule façon de défaire le racisme est de l’identifier et de le décrire sans relâche – pour mieux le démanteler. La tentative consistant à transformer ce terme parfaitement descriptif en une insulte quasi inutilisable est, bien sûr, conçue pour réaliser le contraire: nous immobiliser dans l’inaction.»  (p. 8-9). 


Comment ? 

Adopter une pédagogie antiraciste requiert que l’on interroge le rôle de l’enseignement supérieur dans (re)construction du racisme en système et dans la perpétuation des iniquités raciales. 

Kishimoto (2018, p. 540) souligne que la pédagogie antiraciste ne se limite pas à ajouter des contenus plus diversifiés dans un cours ou plus largement à un curriculum; il s’agit de la façon dont on enseigne, même dans les cours où la race ne fait pas partie du contenu. La pédagogie antiraciste commence avec la conscience de sa position sociale et une autoréflexion à ce sujet, et elle mène à appliquer cette analyse non seulement à son enseignement, mais à sa discipline, sa recherche, son département et son université, ses services à la collectivité. En d’autres mots, la pédagogie antiraciste est un effort d’organisation en faveur de changements institutionnels et sociaux, qui s’étend bien au-delà de l’enseignement en salle de classe (Rodriguez and Drew 2009-2014 and Phillips 2013).»

Blakeney (2011) souligne pour sa part que la pédagogie antiraciste constitue un «paradigme ancré dans le théories critiques, mobilisé pour expliquer et contrer la persistance et l’impact du racisme en se basant sur la praxis comme levier de promotion de justice sociale » (p. 119). Elle 

  • vise à élucider les iniquités structurales, les asymétries de pouvoir, tout en accompagnant le développement des compétences d’analyse et de réflexion critiques des étudiant.es;
  • examine les construits historiques qui facilitent les iniquités; 
  • inclut l’enseignement explicite sur comment confronter le racisme sans hésitations ou risque d’exclusion;
  • évite d’adopter une perspective universalisante, occulterait les dimensions uniques et complexes des enjeux et préoccupations de chaque groupe 

Les fondements des pédagogies antiracistes offrent une démarche pour examiner les concepts de race, d’ethnicité, de pouvoir et de classe sociale et développer une conscience des dynamiques en jeu dans une société raciste. Ces fondements révèlent de plus les origines des idéologies racistes et identifient les acteurs.trices qui en tire profit. Le développement de la conscience antiraciste est en bref le résultat d’une compréhension profonde de l’impact du racisme et des expériences du racisme.


Une démarche 

La démarche présentée ici est issue du travail de Twyman-Ghoshal et Corkin Lacorazza (2021)[1],  Simmons (2019) et Kashani, Ross et Irvin, 2020

 

  1. Reconnaitre ses propres biais 

 

Kendi (2019) rappelle qu’un contrôle actif de ses biais « exige une conscience de soi persistante, une autocritique constante et une introspection régulière.» (p. 19) Être pédagogue antiraciste présuppose que l’on ait des intentions et des stratégies explicites, que nous avons choisies selon des principes directeurs. Or, comme les biais raciaux sont imbriqués dans la société, dans la culture et façonnent la façon dont les personnes pensent[2], il est possible que ces choix soient influencés par nos biais. C’est pourquoi le fait de prendre connaissance de ses biais constitue une première étape pour devenir pédagogue antiraciste. Cet effort doit être constant et appliqué aux diverses dimensions de notre enseignement. Il exige notamment de réfléchir régulièrement aux présupposés et conceptions de l’enseignement eurocentriques qui influencent nos pratiques.

 

Questions d’autoréflexion  

  1. «Comment ma position sociale et géographique influence-t-elle mon identité, mes connaissances, mon rapport au savoir» (Twyman-Ghoshal et Corkin Lacorazza, 2021), la façon dont je donne sens à mes expériences ? Quels sont les «trous» dans mes savoirs ?  
  2. «Quel est mon pouvoir ? Comment est-ce que je l’exerce ? Comment se manifeste-t-il dans mon travail ? Comment occupent-il la place et impose-t-il le silence aux autres ?»
  3. «Suis-je raciste ou antiraciste ?»

 

  1. Revisiter les cours et les programmes de formation

Les contenus des cours, des programmes et du matériel pédagogique peuvent contribuer à reproduire les iniquités sociales et raciales, à invisibiliser ou disqualifier des groupes, leurs savoirs, leur vision du monde. Jeter un coup d'oeil sur les références bibliographiques et lectures obligatoires d'un plan de cours est souvent révélateur des injustices épistémiques qui consistent à disqualifier et délégitimer des auteur.trices, des savoirs et des modes de savoirs qui ne sont pas issus du groupe dominant (blanc, patriarcal, eurocentrique, etc.). Lutter contre les leviers d’oppression et de racisme exige d’évaluer les finalités fondamentales de notre discipline, de ses noyaux conceptuels, des traditions épistémologiques dans lesquelles nous avons été formé.es. Quelles ont été les conditions de production des canons de notre formation universitaire ? Quels biais y sont imbriqués ? Quelles voix sont passées sous silence ? Sont légitimées ? Pour quelles raisons, dans quels intérêts ? Ces dimensions de notre enseignement et de notre identité enseignante contribuent-ils à perpétuer le racisme et les autres systèmes d’injustice ? 

Porter ce regard critique sur les fondements et matériaux de notre discipline nous ouvre les yeux non seulement aux biais, mais également aux absences. Puis à démocratiser, décoloniser, ouvrir ces fondements. 


Questions d’autoréflexion 

  1. «Qui avez-vous en tête quand vous préparez votre cours ? Quels présupposés avez-vous à l’égard des origines et de la culture de vos étudiant.es ? Quel est votre étudiant.e idéal.e ? Cette représentation comporte-elle des biais ?
  2. En quoi votre cours confronte-t-il les inégalités et les injustices ? Est-il intentionnellement et implicitement anti-raciste ? 
  3. Problématisez-vous l’hégémonie occidentale dans les contenus, les approches pédagogiques et la philosophie ? Présentez-vous des approches issues d’autres perspectives ? 
  4. Quels savoirs ou façons de savoir sont valorisés dans votre discipline ? Qui en decide ? Quelle voix sont conséquemment exclues ? Discutez-vous de ces injustices avec les étudiant.es ?
  5. Quels outils critiques développez-vous avec les étudiant.es pour leur permettre de questionner les systèmes de domination et d’exclusion épistémiques ? Les savoirs qui leurs sont enseignés ou les textes qui leurs sont imposés ?» (Twyman-Ghoshal et Corkin Lacorazza, 2021)

 

3. Amplifiez les voix en quête d’équité

 

Il est impératif que le fardeau de faire entendre les voix des personnes des groupes en quête d’équité ne repose pas sur les étudiant.es de ces groupes. On ne peut pas d’une part présumer que la personne étudiante s’identifie à ce groupe ou à ses revendications, qu’elle les connaisse ou qu’elle soit disposée à en discuter. D’autre part, interpeler une personne que l’on considère comme membre d’un groupe en quête d’équité, c’est lui faire subir une pression, puisque comme personne enseignante, nous sommes en position de pouvoir. Placer les personnes sur la sellette ainsi est anxiogène et peut constituer une microagression. 

 

L’amplification des voix en quête d’équité est d’abord et avant tout la responsabilité de la personne enseignante. 

 

Quelques pistes

 

  1. Évitez l’inclusion purement symbolique, qui consiste à intégrer des voix en situation de minorisation (dans les textes à lire, les vidéos diffusées, etc.) seulement parce qu’elles sont justement dans cette situation. Les travaux des personnes des groupes en quête d’équité offrent des contributions scientifiques incontournables et c’est pour cette raison qu’il importe de les inclure; 
  2. Vous pouvez inclure les approches narratives (le storytelling) dans le cadre de votre cours, afin d’amplifier les voix qui racontent des expériences peu connues en raison de la colonisation, de l’oppression ou d’autres injustices; 
  3. Les contenus de votre cours incluent-ils des perspectives et des savoirs autochtones ?
  4. Accueillez-vous la diversité des modes d’expression dans les interactions en classe ? 

 

 

4. Créez une communauté d’apprentissage bienveillante et chaleureuse 

 

Les étudiant.es apportent une diversité de perspectives et d’expériences dans la classe, avec des représentations et des croyances relatives aux objets d’apprentissage, aux situations professionnelles qui sont abordées en classe. Il importe de prendre conscience de cette diversité et de rencontrer les étudiant.es là où ils.elles sont comme point de départ. Cela peut exiger des conversations plus difficiles et sensibles, qui requièrent que la classe comme espace et comme communauté soit accueillante de la diversité des perspectives, où chaque personne se sent écoutée et sent que sa participation est valorisée et importante. 

Une communauté d’apprentissage bienveillante et chaleureuse réduit ou élimine les mécanismes d’exclusion.  La participation active requiert des liens de confiance, de « rendre disponibles le plus de ressources possibles, d'accepter tant les expressions intellectuelles que les émotions, de devenir un membre du groupe [...] l'affectivité et le savoir se renforcent mutuellement dans l'apprentissage » (Solar, p. 38). Elle inclut également les enjeux relatifs à la justice épistémique, c’est-à-dire «la conscience que pour des raisons sociohistoriques que nous connaissons tous — l’hégémonie des traditions intellectuelles occidentales et des puissances économiques des pays occidentaux, la colonisation, l’oppression (des classes sociales dites subalternes, des femmes, des peuples), pour ne nommer que celles-ci —il existe une domination épistémique de certaines façons de penser le monde, au prix du silence imposé aux autres.» (Demers, Brunet et Bachand, 2021)

 

 

Quelques pistes de réflexion

  1. Permettez-vous aux étudiant.es de se présenter les un.es aux autres ? Ont-iels des moments au début du trimestre pour discuter de qui iels sont, de leurs aspirations, de leurs expériences en lien avec le cours ou la formation ?
  2. Explicitez-vous des attentes à l’égard des propos qui seront tenus en classe, des principes qui devraient régir les discussions entre les personnes ? 
  3. Identifiez-vous des pistes de solutions pour des discussions ou des échanges qui dérapent, qui deviennent conflictuels ou qui heurtent des personnes ? (voir https://uqo.ca/csipu/microagressions)
  4. Les étudiant.es disposent-iels de moments et d’outils d’autoréflexion au sujet des interactions en classe ? 
  5. Mobilisez-vous les expériences et les réflexions des étudiant.es dans l’apprentissage et les travaux qui y sont associés ? 
  6. Écoutez-vous les étudiant.es ? Assurez-vous que chaque personne se sente écoutée et entendue ? 
  7. Laissez-vous du temps aux étudiant.es pour réfléchir lorsque vous posez une question ?

 

5. Mobilisez des approches pédagogiques actives 

 

Les approches pédagogiques qui mobilisent l’engagement personnel, l’expérience, l’analyse et la résolution de situations authentiques et contextualisées, ainsi que la réflexion sur les objets et démarches d’apprentissage valorisent chaque personne comme contributrice importante à la compréhension profonde des contenus d’un cours. Elles permettent la participation de toutes les personnes étudiantes lorsqu’elles sont mises en œuvre dans une démarche collaborative (des activités d’équipe). Ces approches sont considérées à «haut rendement» parce qu’elles auraient «la plus grande probabilité d’influencer directement les apprentissages et de favoriser les apprentissages en profondeur et signifiants », ainsi que la pensée réflexive. 


[1] Nous ne retenons pas ici le concept de privilèges que les autrices ont inclus dans leur démarche. Nous adhérons plutôt à la position d’Arielle Iniko Newton, qui souligne que «Le privilege est un concept pauvre, puisqu’il est centré sur le comportement individuel plutôt que les échecs systémiques, et qu’il suggère ainsi que changer ces comportement est suffisant pour démanteler l’oppression. De plus, le «privilège» est une reconnaissance minimale qui appelle les actions les plus basiques qui sont facilement défaites»

[2] «Les idées racistes définissent notre société depuis sa naissance et elles peuvent paraître si naturelles et évidentes qu’elles en deviennent banales, mais les idées antiracistes demeurent difficiles à appréhender, en partie parce qu’elles s’opposent au courant de l’histoire de ce pays. Comme l’expliqua Audre Lorde en 1980: ‘Nous avons tous été programmés pour réagir aux différences humaines entre nous par la peur et le dégoût et à affronter cette différence de l’une des trois façons suivantes: l’ignorer et, si ce n’est pas possible, l’imiter si nous pensons qu’elle est dominante ou la détruire si nous pensons qu’elle est secondaire. Mais nous n’avons aucun modèle pour, à travers nos différences humaines, nous comporter en êtres égaux.’ Être antiraciste est un choix radical devant cette histoire, qui demande une réorientation radicale de notre conscience.» X. Kendi, Ibram. Comment devenir antiraciste. Les Éditions de l'Homme. (p. 20). Édition