Aller au contenu principal

Le déboulonnage des monuments au Canada

Une stratégie de résistance convergente des militants autochtones, noirs et antiracistes, ainsi que des Canadiens français, pour faire face aux héritages coloniaux.

La professeure Audrey Rousseau, du Département des sciences sociales, vient de publier un article dans les Cahiers Mémoire et Politique

 

Dans les démocraties libérales, et plus particulièrement dans les sociétés ayant un passé colonial, les discours plaidant pour la chute ou le renversement des monuments (« fallism » que nous traduisons par déboulonnage) fonctionnent comme un outil permettant aux groupes historiquement marginalisés de revendiquer une identité collective en produisant de nouvelles significations eu égard à l’effacement historique qu’ils ont subi. Un exemple récent de cette mouvance est la mobilisation étudiante #RhodesMustFall débutée en 2015 en Afrique du Sud, ou encore, le renversement de monuments associés à l’esclavage durant les manifestations Black Lives Matter en 2020 aux États-Unis. Cet article puise dans les perspectives anticoloniales et les études de la mémoire, afin d’exposer les rapports de pouvoir inégalitaires entre les mémoires et les identités collectives au Canada. Plus particulièrement, nous investiguons la stratégie du déboulonnage afin de combattre l’oubli, contester les discours impérialistes — parmi lesquels la suprématie blanche — et proposer de nouvelles manières de représenter les héritages coloniaux et leurs conséquences. Nous postulons qu’il existe une convergence entre les stratégies de contestation visant des monuments publics mis en œuvre par les Canadiens français aux XIXe-XXe siècles et celles utilisées par les activistes autochtones, noirs et antiracistes au XXIe siècle. Bien sûr, l’objectif ici n’est pas de niveler les grandes différences, voire l’ambivalence et les contradictions, qui existent entre ces groupes sociopolitiques, mais de départager, par une analyse comparative de ces contextes historiques diachroniques, certaines similitudes quant aux pratiques de désacralisation des monuments personnifiant la domination coloniale. Pour ce faire, nous examinerons d’abord les actions et les justifications entourant trois exemples de vandalisme et de dynamitage de monuments symbolisant la britannicité (l’un en 1893 et les deux autres en 1963) par des nationalistes Canadiens français, puis j’aborderai trois exemples de démolition et de décapitation de statues entre 2020 et 2021 par des militants antiracistes, noirs et autochtones. En essayant de nous distancier de l’idée d’une mémoire compétitive entre ces mouvements anticoloniaux, nous emprunterons à Michael Rothberg la notion de « mémoire multidirectionnelle » qui permet de penser l’articulation des frontières mémorielles et identitaires lorsqu’il est question d’histoires violentes. Cette notion guide l’analyse vers la négociation et la production de ces mémoires, leurs emprunts, leurs conflictualités, comme génératrice de (re)signification d’un passé à la fois distinct et partagé. Puisqu’il est question de dialogue, nous estimons qu’en concevant le déboulonnage comme un acte mémoriel visant à rectifier les torts au sein des sociétés coloniales, il devient possible, en dépit des divisions entre les mémoires et les identités de ces militants, de faire naître des formes inattendues de solidarité.

LIEN

Image, ND, photographie, carte postale, Paris, Bibliothèque et Archives
nationales du Québec, disponible à l’adresse suivante : https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/1951264