Recherche et création
Christian Messier
Les forêts résilientes
Le Canada possède 347 millions d’hectares de forêts. C’est 35 % du territoire canadien et 9 % de l’ensemble des écosystèmes forestiers mondiaux ! Depuis des millénaires, la forêt a fait preuve d’une extraordinaire résilience pour s’adapter et se renouveler, parfois dans des conditions extrêmes. Cette résilience est une véritable « police d’assurance » contre la perte de valeur et la fonctionnalité des forêts comme l’a souligné la Convention internationale sur la diversité biologique (CDB) adoptée au Sommet de la Terre à Rio en 1997. Mais pour préserver cette résilience face à l’augmentation des menaces à sa pérennité, il est primordial de protéger ou restaurer la biodiversité des forêts en révolutionnant les approches d’aménagement et misant sur une diversité arboricole. C’est la mission que s’est donné Christian Messier, chercheur à l’UQO et directeur scientifique de l’Institut des sciences de la forêt tempérée (ISFORT).
Dans une perspective d’économie écologique, la forêt est un important pourvoyeur de services essentiels. En plus de fournir une richesse importante, elle aide notamment à préserver et purifier nos ressources en eau et à emprisonner d’importantes quantités de carbone. C’est sa résilience, soit sa capacité à supporter les pressions externes et retrouver rapidement, son état original après avoir subi des perturbations, qui a permis aux forêts de survivent à travers les siècles. Parce qu’elle repose sur une biodiversité à multiples échelles, la capacité de résilience des forêts est de plus en plus fragilisée par l’intervention humaine et les changements climatiques.
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la résilience des forêts face aux changements globaux de l’UQO, Christian Messier travaille activement depuis plus de 10 ans sur la résilience des forêts. Il est co-instigateur d’un réseau international de forêts expérimentales (IDENT) où on a fait pousser plusieurs espèces d’arbres, en rangées très rapprochées, sur des espaces d’un demi-hectare (100 x 100 m), afin d’observer les différents facteurs qui influencent l’écosystème d’une forêt comme la décomposition du sol, les bactéries qui s’y développent, les insectes qui s’y installent et la réaction des arbres face aux aléas du climat. Christian Messier co-supervise six forêts expérimentales de ce genre situées au Québec, en Ontario, au Minnesota aux États-Unis, en Sardaigne en Italie et en Allemagne et il se prépare à en inaugurer une autre en 2020 en Outaouais. Les résultats de ses travaux ont fait déjà l’objet d’une trentaine d’articles qui ont été publiés dans différentes revues d’importance comme Nature.
« La foresterie traditionnelle qui a plus de 300 ans s’est toujours concentrée sur la récolte et le reboisement d’arbres qui sont économiquement rentables. À la longue, ça les a fortement simplifiés et certaines forêts en souffrent. Elles ont plus de difficulté à passer au travers de sécheresses, de maladies ou d’invasions d’insectes ravageurs. Grâce aux forêts expérimentales, nous sommes en mesure de tester en circuit fermé, différentes stratégies d’aménagement qui misent sur le boisement de 2 à 10 espèces d’arbres, avec parfois des espèces étrangères qui côtoient des espèces indigènes. Après près de 10 ans d’expérimentation, on constate que ces stratégies qui misent sur le potentiel d’interconnectivité des espèces d’arbres, améliorent grandement les capacités de résiliences de nos forêts. »
Christian Messier, Département des sciences naturelles de l’UQO
Les forêts sont des systèmes complexes et dynamiques, mais il reste difficile de prédire exactement comment ils vont réagir à long terme aux nouvelles menaces générées entre autres par les changements climatiques. Christian Messier explore également le concept de connectivité fonctionnelle des forêts. En combinant les caractéristiques fonctionnelles (i.e. attributs biologiques qui jouent un rôle important dans le fonctionnement de l’arbre) de chaque essence d’arbre et la connectivité naturelle des forêts en réseaux complexes (via la dispersion des semences) qui favorisent la diversité, il est possible d’intervenir en aménageant les forêts de façon à les immuniser contre les stress présents et à venir.
« J’aime dire que ce qu’on veut, c’est vacciner nos forêts contre les changements globaux. En expérimentant sur une région boisée de 500 000 hectares située dans les Bois-Francs dans le centre du Québec, on a construit des modèles mathématiques pour évaluer sur 30 ans, comment on peut aménager ces forêts de façon la plus efficace possible afin d’augmenter significativement la diversité des espèces d’arbres pour maximiser la résilience de la forêt face aux différentes perturbations qui s’en viennent. On sait qu’enrichir les forêts avec des espèces ayant des attributs biologiques complémentaires permet de renforcer l’immunité de l’écosystème forestier, car cela favorise alors une meilleure utilisation des ressources ainsi qu’une plus grande complexité d’interactions. Cela peut se faire en agissant sur la capacité de régénération naturelle des forêts, la capacité de dispersion des semences et en favorisant un reboisement avec des essences ciblées. Ce type d’analyse peut nous permettre de prévenir les conséquences d’une éventuelle sécheresse et agir pour augmenter la capacité de la forêt à se défendre contre l’arrivée de certains insectes ravageurs qui menaceraient une espèce en particulier ».
Christian Messier, Département des sciences naturelles de l’UQO
Le résultat des recherches sur la connectivité fonctionnelle des forêts devrait être dévoilés d’ici le début de 2020.
Pour en savoir plus sur les recherches de Christian Messier, consulter le site de l’ISFORT.